jeudi 28 juillet 2011

Antoine Hervé : "Le jazz a droit de cité dans notre société"

Pianiste et compositeur de jazz, Antoine Hervé a dirigé l'Orchestre national de jazz. Il écrit également pour des spectacles musicaux et des musiques de films et donne mensuellement à Paris, depuis 2007, sa "Leçon de jazz". Il réagit à l'appel "Pour des états généraux du jazz" paru mercredi dans Libération.


"Il est toujours nécessaire de se faire entendre, et cet appel est indispensable pour se faire une place dans un paysage culturel de plus en plus vaste et varié. Ce n’est pas une nouveauté, le saxophoniste de jazz Roland Kirk avait, en son temps, pris la tête d’un mouvement aux USA revendiquant une meilleure présence médiatique du jazz en télé et en radio.

Par ailleurs, il faut toujours avoir en mémoire que la musique, en tant que pratique et au niveau de sa diffusion, ne peut fonctionner économiquement sans l’intervention des aides publiques. Sur ce plan-là, nous sommes passés depuis deux siècles des monastères aux ministères.

Les hommes politiques étant ceux qui ont le pouvoir d’opérer un ré-équilibrage entre les diverses aides accordées, c’est donc naturellement vers eux que se tournent les acteurs culturels pour tirer la sonnette d’alarme lorsqu’ils sentent leur secteur menacé, ce qui est le cas pour le secteur du jazz depuis quelques années. En effet, la prise en compte du jazz dans le secteur musical français est très déficitaire aujourd’hui par rapport à son potentiel réel en terme d’éducation et de diffusion.

N’oublions pas que le public est censé également faire ses propres choix, à condition bien sûr qu’il y ait une offre variée, et là, ce n’est pas toujours le cas, la pression du business étant très forte par les temps qui courent.

Par exemple le fait qu’il n’y ait toujours aucune proposition "jazz" digne de ce nom à la télévision est une anomalie, et reflète assez bien l’ignorance des Français et de leurs élites en matière de musique en général, et de jazz en particulier. En Allemagne, on diffuse volontiers un concert de jazz à vingt heures trente, sans qu’il y ait mort d’homme.

À mon modeste niveau, afin de combattre cette méconnaissance, j’ai monté "La Leçon de Jazz" en écho à "La Leçon de Musique" de Jean-François Zygel, qui a fait un travail remarquable d’initiation dans le domaine de la musique classique. En effet, force est de constater à nouveau que si les Français connaissent à peine la musique classique, ils n’ont globalement aucune idée de ce qu’est le jazz.

La "Leçon de Jazz" est donc une série de concerts thématiques commentés, afin de partager avec le public ma passion pour cet art majeur, universel et incontournable du XXème siècle. Cette proposition suscite une très grande adhésion du public et fonctionne au-delà des  espérances. Preuve si nécessaire, qu’il existe un public qui ne demande qu’à entrer dans l’univers du jazz, à condition qu’on lui en donne quelques clés. Marcel Duchamp n’avait-il pas déclaré au début du XXème siècle "il n’y a pas d’art sans initiation" ? L’ère du jazzman "hip" qui "tourne le dos" à son public est en tout cas bel et bien enterrée.

Le jazz a droit de cité dans notre société. Il véhicule des valeurs qui transcendent celles des classes sociales et des clivages communautaires. À ce titre, il joue un rôle fédérateur. De plus, les musiciens de jazz sont très exigeants, très attachés à la qualité de leur art, mais également et surtout à la liberté de leur expression, à l’égalité des moyens accordés aux uns et aux autres et à la fraternité entre les artistes qui incarnent les divers courants de notre culture.

Eh oui, c’est inscrit sur les frontons de nos mairies depuis une certaine révolution. Si cette même révolution a probablement provoqué une rupture en France avec le monde de la musique, qui vivait et se développait alors dans les monastères, elle a néanmoins adopté ces valeurs constituant un héritage qu’il convient de faire fructifier, et sur lequel il faut rester vigilant.

Il est donc à nouveau nécessaire d’attirer l’attention des institutions culturelles de l’apport que le jazz constitue dans le domaine de la culture et de l’éducation, dans le développement de l’imagination, de la créativité et de la prise de risque, dans le respect de nos valeurs et du dialogue avec l’autre, afin d’obtenir le soutien indispensable à son épanouissement.

Il faut rappeler et affirmer tout haut que le jazz est une musique respectée, pratiquée et soutenue dans le monde entier, en tant que mode d’expression artistique universellement reconnu, et en aucun cas un art ethnique pratiqué par des sous-communautés éparses vouées à l’appauvrissement puis à la disparition en France. Cette exception culturelle-là, nous n’en voulons pas, et cet appel, au-delà d’une nécessité, est une véritable urgence."



La Leçon de jazz, Antoine Hervé, Juliobona... par juliobona

Propos recueillis par C.E.

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